
Le calcium représente l’un des minéraux les plus abondants de l’organisme humain, avec une concentration sanguine normale comprise entre 2,20 et 2,60 mmol/L. Les anomalies de la calcémie, qu’il s’agisse d’ hypercalcémie ou d’ hypocalcémie , peuvent révéler des pathologies sous-jacentes complexes affectant l’homéostasie phosphocalcique. Ces déséquilibres métaboliques impliquent des mécanismes physiopathologiques sophistiqués mettant en jeu les glandes parathyroïdes, le métabolisme de la vitamine D, et la fonction rénale. Comprendre les causes multifactorielles des troubles calciques permet une approche diagnostique ciblée et un traitement adapté à chaque situation clinique.
Hypercalcémie : mécanismes physiopathologiques et étiologies principales
L’hypercalcémie se définit par une concentration sérique de calcium supérieure à 2,60 mmol/L, résultant généralement d’un déséquilibre entre les apports, l’absorption intestinale, la réabsorption rénale et la mobilisation osseuse. Cette anomalie métabolique peut être asymptomatique dans sa forme modérée ou provoquer des manifestations cliniques sévères lorsque la calcémie dépasse 3,50 mmol/L. Les mécanismes compensateurs physiologiques incluent l’inhibition de la sécrétion de parathormone (PTH) et l’augmentation de l’excrétion urinaire calcique, mais ces systèmes de régulation peuvent être dépassés dans certaines conditions pathologiques.
La règle mnémotechnique « stones, bones, groans, and psychiatric moans » illustre parfaitement les quatre grandes catégories de symptômes de l’hypercalcémie : lithiase rénale, douleurs osseuses, troubles digestifs et manifestations neuropsychiatriques.
Hyperparathyroïdie primaire par adénome parathyroïdien
L’hyperparathyroïdie primaire constitue la cause la plus fréquente d’hypercalcémie en ambulatoire, représentant environ 90% des cas chez les patients non hospitalisés. Cette pathologie résulte dans 85% des situations d’un adénome parathyroïdien unique sécrétant de manière autonome des quantités excessives de PTH. L’hyperplasie multiglandulaire représente 10 à 15% des cas, tandis que le carcinome parathyroïdien demeure exceptionnel avec moins de 1% des hyperparathyroïdies primaires. La sécrétion inappropriée de PTH stimule la réabsorption tubulaire rénale du calcium, active la synthèse rénale de calcitriol et favorise la résorption osseuse ostéoclastique.
Néoplasies malignes avec sécrétion de PTHrP (protein related peptide)
L’hypercalcémie maligne représente la deuxième cause la plus commune d’élévation de la calcémie, particulièrement en milieu hospitalier où elle concerne 20 à 30% des patients cancéreux. Le mécanisme principal implique la sécrétion tumorale de PTHrP (Parathyroid Hormone-related Protein), une protéine partageant des homologies structurelles avec la PTH et activant les mêmes récepteurs tissulaires. Les cancers bronchopulmonaires, notamment les carcinomes épidermoïdes, les tumeurs rénales, vésicales et mammaires constituent les localisations les plus fréquemment associées à cette complication. L’ostéolyse directe par métastases osseuses peut également contribuer à l’hypercalcémie, particulièrement dans les cancers du sein, de la prostate et les hémopathies malignes comme le myélome multiple.
Intoxication à la vitamine D et métabolites 25(OH)D3
L’intoxication à la vitamine D résulte généralement d’une supplémentation excessive ou d’une erreur de dosage thérapeutique, entraînant une hypercalcémie par stimulation de l’absorption intestinale calcique. Les formes actives de vitamine D, notamment le calcitriol [1,25(OH)2D3] et l’alfacalcidol [1α(OH)D3], présentent un risque particulièrement élevé d’hypercalcémie iatrogène en raison de leur activité biologique importante. La demi-vie prolongée de la vitamine D3 (cholécalciférol) explique la persistance des symptômes plusieurs semaines après l’arrêt de la supplémentation. Le diagnostic repose sur le dosage des métabolites vitaminiques, avec des concentrations de 25(OH)D3 dépassant généralement 150 nmol/L en cas d’intoxication.
Sarcoïdose et granulomatoses avec production extra-rénale de calcitriol
La sarcoïdose peut s’accompagner d’hypercalcémie dans 10 à 20% des cas, résultant d’une production extra-rénale de calcitriol par les macrophages activés au sein des granulomes. Cette synthèse ectopique de 1,25(OH)2D3 échappe au contrôle physiologique exercé par la PTH et le FGF23 (Fibroblast Growth Factor 23), expliquant l’hypercalciurie fréquemment associée même en l’absence d’hypercalcémie franche. D’autres granulomatoses comme la tuberculose, l’histoplasmose ou la bérylliose peuvent présenter des mécanismes similaires. Le traitement corticoïde permet généralement une normalisation rapide de la calcémie en inhibant l’activité de la 1α-hydroxylase extra-rénale.
Syndrome de Williams-Beuren et hypersensibilité à la vitamine D
Le syndrome de Williams-Beuren, pathologie génétique rare liée à une délétion du chromosome 7q11.23, s’associe fréquemment à une hypersensibilité à la vitamine D pouvant provoquer une hypercalcémie sévère dès la période néonatale. Cette hypersensibilité résulte probablement d’anomalies du métabolisme vitaminique et de la régulation de l’absorption intestinale calcique. Les manifestations cliniques associent un retard de développement, une sténose aortique supravalvulaire, des dysmorphies faciales caractéristiques et des troubles du comportement. La prise en charge nécessite une restriction calcique alimentaire stricte et un évitement de la supplémentation vitaminique D.
Hypocalcémie : déficits hormonaux et troubles métaboliques
L’hypocalcémie, définie par une calcémie inférieure à 2,20 mmol/L, résulte principalement de déficits en PTH, en vitamine D active ou de résistance périphérique à ces hormones calcitropes. Les manifestations cliniques incluent des paresthésies péribuccales et digitales, des crampes musculaires, un signe de Chvostek positif et, dans les formes sévères, des crises de tétanie avec laryngospasme. La correction de l’albumine sérique est indispensable pour interpréter correctement la calcémie, la formule de correction étant : calcium corrigé = calcium mesuré + 0,02 × (40 – albumine en g/L). Cette correction permet d’éviter les erreurs diagnostiques liées à l’hypoalbuminémie fréquente chez les patients hospitalisés.
L’hypocalcémie symptomatique constitue une urgence médicale nécessitant une correction intraveineuse immédiate par gluconate de calcium pour prévenir les complications cardiovasculaires et neurologiques potentiellement fatales.
Hypoparathyroïdie post-chirurgicale après thyroïdectomie totale
L’hypoparathyroïdie post-opératoire représente la complication la plus fréquente de la chirurgie thyroïdienne, survenant dans 5 à 50% des thyroïdectomies totales selon l’expérience du chirurgien et l’extension du geste opératoire. Cette complication résulte de la dévascularisation, de la lésion directe ou de l’ablation inadvertante des glandes parathyroïdes lors de l’exérèse thyroïdienne. L’hypoparathyroïdie transitoire, définée par une normalisation de la calcémie dans les six mois post-opératoires, concerne la majorité des cas. L’hypoparathyroïdie définitive, beaucoup plus rare, nécessite un traitement substitutif à vie par dérivés vitaminiques D et supplémentation calcique. La surveillance post-opératoire précoce de la calcémie et de la PTH permet une détection rapide de cette complication.
Pseudohypoparathyroïdie type ia avec résistance périphérique à la PTH
La pseudohypoparathyroïdie type Ia, également connue sous le nom d’ostéodystrophie héréditaire d’Albright, constitue une pathologie génétique rare caractérisée par une résistance périphérique à l’action de la PTH. Cette maladie autosomique dominante résulte de mutations du gène GNAS codant pour la sous-unité α de la protéine G stimulatrice (Gsα), entraînant une altération de la signalisation intracellulaire de la PTH au niveau rénal et osseux. Les patients présentent un phénotype caractéristique associant une petite taille, une obésité, des métacarpiens et métatarsiens courts, des calcifications sous-cutanées et un retard mental modéré. Paradoxalement, les concentrations sériques de PTH sont élevées en raison de la résistance tissulaire, contrastant avec l’hypocalcémie et l’hyperphosphatémie observées.
Carence en vitamine D et ostéomalacie
La carence en vitamine D demeure une cause majeure d’hypocalcémie dans le monde, particulièrement prévalente dans les régions à faible ensoleillement et chez les populations à risque. Cette carence nutritionnelle entraîne une diminution de l’absorption intestinale calcique, stimulant secondairement la sécrétion de PTH (hyperparathyroïdie secondaire) pour maintenir la calcémie dans les valeurs normales. Lorsque les mécanismes compensateurs sont dépassés, l’hypocalcémie apparaît, associée à une hypophosphatémie et à une élévation marquée de la PTH et des phosphatases alcalines. L’ostéomalacie, caractérisée par un défaut de minéralisation de la matrice osseuse, constitue la manifestation osseuse de cette carence chez l’adulte, tandis que le rachitisme affecte l’enfant en période de croissance.
Insuffisance rénale chronique et hyperphosphatémie secondaire
L’insuffisance rénale chronique provoque des troubles complexes du métabolisme phosphocalcique dès que le débit de filtration glomérulaire descend en dessous de 60 mL/min/1,73m². La diminution de la synthèse rénale de calcitriol par déficit en 1α-hydroxylase rénale réduit l’absorption intestinale calcique, tandis que la rétention phosphorée stimule la sécrétion de FGF23 et contribue à l’hypocalcémie. L’hyperparathyroïdie secondaire se développe précocement pour compenser ces anomalies, mais peut évoluer vers une hyperparathyroïdie tertiaire avec autonomisation des glandes parathyroïdes. La prise en charge nécessite une approche multifactorielle incluant la restriction phosphorée, la supplémentation en dérivés vitaminiques D et l’utilisation de chélateurs du phosphore.
Dysfonctionnements rénaux affectant l’homéostasie calcique
Les reins jouent un rôle central dans l’homéostasie calcique en régulant l’excrétion urinaire du calcium et la synthèse du calcitriol. Dans les conditions physiologiques, environ 98% du calcium filtré est réabsorbé le long du néphron, principalement au niveau du tube contourné distal sous l’influence de la PTH. Les dysfonctionnements rénaux peuvent perturber cette régulation fine par plusieurs mécanismes : altération de la réabsorption tubulaire, diminution de la synthèse de vitamine D active, ou modifications de l’équilibre acido-basique affectant la liaison du calcium aux protéines plasmatiques.
L’hypercalciurie idiopathique, définie par une excrétion urinaire calcique supérieure à 4 mg/kg/24h chez la femme et 5 mg/kg/24h chez l’homme, représente l’anomalie métabolique la plus fréquente chez les patients lithiasiques. Cette condition peut résulter d’une hyperabsorption intestinale primitive du calcium, d’une fuite rénale calcique ou d’une résorption osseuse excessive. Le diagnostic différentiel nécessite des épreuves fonctionnelles spécialisées incluant le test de charge calcique et l’évaluation de la calciurie après restriction calcique. Les diurétiques thiazidiques constituent le traitement de référence en réduisant l’excrétion urinaire calcique et en prévenant la récidive lithiasique.
La tubulopathie proximale, qu’elle soit congénitale (syndrome de Fanconi) ou acquise (intoxication aux métaux lourds, myélome), peut s’accompagner d’une perte rénale excessive de calcium contribuant à l’hypocalcémie. Ces néphropathies tubulaires altèrent également le métabolisme de la vitamine D en diminuant l’activité de la 1α-hydroxylase proximale, aggravant les troubles calciques. La correction nécessite une supplémentation en calcitriol plutôt qu’en vitamine D native, cette dernière nécessitant une hydroxylation rénale fonctionnelle pour exercer ses effets biologiques.
Pathologies endocriniennes perturbant le métabolisme phosphocalcique
Les dysfonctionnements endocriniens peuvent perturber l’homéostasie calcique par des mécanismes directs ou indirects, impliquant des modifications hormonales complexes. L’hyperthyroïdie stimule la résorption osseuse en activant les ostéoclastes, pouvant entraîner une hypercalcémie modérée dans 10 à 27% des cas selon les études. Cette hypercalcémie s’associe fréquemment à une hypercalciurie et à un risque accru d’ostéoporose, particulièrement préoccupant chez les fem